L’effort de réinvestissement dans la défense compromet définitivement l’objectif de ramener le déficit public au-dessous de 3 % du PIB en 2017.
Le conseil de défense du 29 avril 2015 marque en apparence un tournant dans la stratégie française de sécurité. François Hollande a acté l’augmentation de 3,8 milliards d’euros des crédits militaires et le maintien de 18 500 postes sur les 34 000 qui devaient être supprimés d’ici à 2019. Il rompt ainsi avec le choix effectué depuis la fin de la guerre froide de faire de la défense la variable d’ajustement du budget et des effectifs de l’État, avec une diminution de 20 % des crédits sur vingt-cinq ans et la suppression de 80 000 postes au cours des douze dernières années. Ce réinvestissement dans la défense est cohérent avec la spectaculaire montée des menaces intérieures et extérieures qui pèsent sur la France.
Ainsi, le conseil de défense a enterré les illusions nourries par la loi de programmation militaire pour 2014-2019, qui pariait sur la réduction drastique de la violence et de son intensité pour accélérer le désarmement à travers la baisse des effectifs et le vieillissement des matériels. Loin de disparaître, la guerre est de retour. Et pour longtemps. Elle se déploie sur un spectre et un nombre de théâtres inattendus. Les contrats opérationnels se trouvent dépassés. Plus de 10 500 hommes et 45 avions sont engagés dans l’opération Barkhane au Sahel et au Moyen-Orient, sans compter les forces participant aux manoeuvres organisées en Pologne ou à la lutte contre Boko Haram. Simultanément, plus de 10 500 hommes ont été réquisitionnés après les attentats de Paris et 7 000 ont reçu la mission de surveiller sans limitation de durée quelque 700 sites sensibles dans le cadre de Sentinelle. Au total, 37 000 hommes sont actuellement déployés, ce qui exige théoriquement 111 000 soldats (un à l’entraînement et un en régénération pour un en opération). Et ce alors que l’armée de terre devait être réduite à 66 000 hommes en 2020, notamment pour gager la création de 60 000 postes dans l’Education nationale. Ce sont ainsi logiquement la mission de protection du territoire et l’armée de terre qui, avec 2,8 milliards d’euros, seront les premières bénéficiaires des crédits supplémentaires. Les décisions prises sont cependant autant de trompe-l’œil. François Hollande endosse à bon compte l’habit du chef de guerre et de protecteur de la nation. Il n’en tire les conséquences ni sur le budget de la défense ni sur les comptes publics, dont l’équation est plus que jamais insoluble.
L’effort financier en faveur de la défense demeure insuffisant. Le maintien du budget pour 2015 fixé à 31,4 milliards d’euros ne prend pas en compte les 300 millions d’euros de charges supplémentaires correspondant aux 11 000 postes maintenus. Ne sont couverts ni le surcoût des opérations extérieures, qui s’élève à plus de 1,2 milliard d’euros pour une provision initiale de 450 millions, ni le report de charge sur les équipements, qui dépasse 3,8 milliards d’euros et menace la Direction générale de l’armement de cessation de paiement. Surtout, l’essentiel des nouveaux crédits, soit 2,5 milliards sur 3,8, sont reportés après l’élection présidentielle, en 2018 et 2019.
Au total, François Hollande s’apprête à léguer à son successeur un système de défense exsangue. D’un point de vue militaire, les forces et les matériels sont en suractivité et nos armée sauront consumé en 2017 tout leur potentiel, soit la même situation que les Britanniques au sortir des guerres d’Irak et d’Afghanistan. D’un point de vue opérationnel, aucun des conflits dans lesquels la France se trouve engagée ne sera dénoué, à l’exception peut-être de la calamiteuse intervention en Centrafrique. D’un point de vue financier, l’investissement restera nettement inférieur au niveau minimal requis pour maintenir nos capacités tout en finançant l’activité des armées, niveau qui s’élève à 33 milliards d’euros, soit 1,6 % du PIB pour une norme Otan de 2 % du PIB. D’un point de vue stratégique, la défense se trouvera dans l’impasse à partir de 2020 face aux besoins de renouvellement de la dissuasion nucléaire qui portent sur 3 milliards d’euros par an, à la nécessaire régénération des forces et au renouvellement des matériels, au renforcement des missions de protection du territoire et de la population, au développement de la cyberguerre, qui conduit les États-Unis à créer une armée à part entière spécialisée dans le combat numérique. François Hollande aura consommé en 2017 tout le capital militaire accumulé par ses prédécesseurs et ne laissera pour héritage que des capacités opérationnelles amputées et un besoin de réinvestissement d’au moins 3 milliards par an si la France veut maintenir son rang.
Le second tour de passe-passe concerne les finances publiques. L’effort financier en faveur de la défense aurait dû être associé à une diminution à due concurrence des 670 milliards d’euros de transferts sociaux, pour être compatible avec la trajectoire de retour à un déficit de 2,7 % en 2017. Or il n’en est rien. Du côté de la défense, il convient d’ajouter à la rallonge de 1,3 milliard pour 2016 et 2017 les 5,4 milliards de recettes exceptionnelles prévues de 2015 à 2017, qui, restant introuvables, ont été converties en crédits budgétaires dont nul ne connaît le financement. Quant aux transferts sociaux, loin d’être mis sous contrôle, ils connaissent une nouvelle envolée avec le compte pénibilité, le compte personnel d’activité, l’extension de la prime d’activité aux jeunes et aux étudiants ou encore la généralisation du tiers-payant dans la santé. Enfin, la stabilisation des effectifs militaires va conforter l’inflation du nombre des fonctionnaires, en augmentation de 100 000 postes par an depuis 2012. Au total, l’effort de réinvestissement dans la défense ne permet pas de maintenir les capacités opérationnelles des armées françaises. En revanche, faute d’être financé par des coupes dans les budgets sociaux et les effectifs de la fonction publique, il compromet définitivement l’objectif de ramener le déficit public au-dessous de 3 % du PIB en 2017. Avec un déficit et une dette atteignant respectivement 4 % et 98 % du PIB à fin 2015, contre 2,2 % et 92 % pour la zone euro, la France est plus que jamais une grosse Grèce.
Le réarmement est compatible avec le redressement de la France. Mais à deux conditions. Une révision stratégique pour tenir compte des nouvelles menaces, adapter nos armées à la révolution technologique, spécialiser nos forces en fonction des missions, encadrer les interventions extérieures. Et une politique énergique de coupes dans les dépenses et les effectifs de la fonction publique qui se concentre sur la restructuration de l’État providence pour sanctuariser l’État régalien.
(Chronique parue dans Le Point du 07 mai 2015)